Qui n'en veut de la rupture ?
Comme tu as été très sage depuis la dernière ponte (même trop sage...où ki sont mes commentateurs ?), je voulais élever un tout petit peu le débat en te présentant le petit topo que j'ai écrit pour la section de Tokyo et que j'ai présenté hier soir. Je voulais juste attirer ton attention sur ce qui te menace parce que moi, ton serviteur, je vois depuis 14 ans que la rupture, ça ne marche pas ! Aller, lis et fais marcher un peu ta matière grise.
Un des avantages indéniables de la vie au Japon c’est de vivre au quotidien dans une société en avance sur bien des points, pas tous liés à la technologie et pas tous dans la bonne direction…
En 1945, la défaite est totale. Le pays n’est plus qu’un immense champ de ruines qu’il faut reconstruire. Il n’y a pas le choix, tout le monde doit se retrousser les manches. La même formidable énergie qui avait permis au Japon de passer du Moyen Âge au 20ème siècle en l’espace de quelques années, le même élan d’embrigadement nationaliste qui avait permis la militarisation des esprits et l’effort de guerre ont été remis à contribution pour redresser l’économie.
20 ans plus tard, le Japon (re)fait son entrée dans la cour des grands ! 40 ans plus tard c’est devenu la première économie du monde ! 60 ans plus tard la machine a besoin de révisions et la barque prend eau de toute part…
Drôle de démocratie où c’est le même parti qui est au pouvoir depuis 60 ans, quasiment sans interruption !
Cette situation, unique dans les pays démocratiques, est non seulement la résultante d’une absence de conscience politique de la population, la conséquence d’une culture qui abhorre la différence (d’opinion également), le fruit d’un système politique créé (presque) de toute pièce par l’occupant yankee, mais cette situation a surtout pour conséquence le clientélisme, l’émergence de dynasties politiques où l’on est député ou ministre de père en fils, la corruption généralisée, les collusions louches avec la pègre et surtout, surtout, la bureaucratisation du système ! Ce ne sont plus les élus qui gouvernent mais les fonctionnaires qui demeurent là où les ministres ne font souvent que passer en trombe, le temps d’empocher quelques juteuses enveloppes…
Drôle de société où l’Etat se contente de fixer certaines limites et joue plus un rôle de garant que de régulateur et où il est partie prenante avec la société économique avec un système très développé de parachutage tranquille. L’Etat attend des entreprises qu’elles participent au développement du pays en observant les règles et que celles-ci se comportent vis à vis de leurs employés en « bon père de famille ». L’Etat réprime rarement…
Seulement voilà, le Japon n’est pas seul au monde ! La concurrence se faisant ressentir de plus en plus, l’économie faiblit. Les entreprises souffrent pour se maintenir dans la course aux profits. Le bon vieux système de l’emploi à vie, récompensant la longévité plutôt que le talent commence à coûter cher en termes de parts de marché…Il n’y a plus qu’une solution : dégraisser !
Plusieurs moyens sont appliqués : on commence par recruter moins, on continue en diminuant systématiquement le sacro-saint bonus, on commence à appliquer les méthodes autrefois honnies de la récompense du talent plutôt que de la fidélité, on réduit ensuite les coûts inférieurs en supprimant quelques intermédiaires qui, à leur tour, se voient obligés de faire de même et de réduire leurs coûts. On met enfin à la porte ceux qui ont tout donné pour leur entreprise, tout sacrifié, leur famille, leurs amis, leur santé, sans compter, sans se plaindre. On généralise enfin le travail partiel, sans bénéfices sociaux, sans avenir…
En ce qui concerne les SDF, il est difficile d’ignorer ce phénomène. Il n’y a qu’à se rendre dans un grand parc ou le long d’une des rivières d’une des métropoles de l’Archipel pour voir pousser les logements en carton couverts de bâches bleues. Enfin, il n’y a qu’à se rendre dans certaines zones de Tokyo, Yokohama ou Osaka pour voir la misère…
Officiellement, ils seraient 40 000 dans tout le pays. La réalité est certainement pire puisqu’aucune enquête sérieuse n’est menée. Ce chiffre est basé sur le nombre de cas bénéficiant ou ayant bénéficié d’une allocation. Sachant que pour recevoir ces allocations il faut avoir un logement fixe et/ou avoir plus de 60 ans et sachant que ceux qui viennent à Sanya à Tokyo ou à Kamagasaki à Osaka n’ont pas de domicile fixe mais vont de foyer en foyer, sachant aussi que l’espérance de vie est de 52 ans en moyenne, on peut facilement imaginer l’ampleur du problème.
Exagérée cette image ? Hélas non. Quel rapport avec la France ? Eh bien comme je l’indiquais au début, le Japon nous montre ici son avance en matière de précarité sociale. Dans la France de la rupture, dans la France du « travailler plus pour gagner plus », dans la France de Sarkosy où l’on voudrait récompenser l’effort et mépriser la malchance, dans cette France qui cache ses problèmes avec de la poudre aux yeux et des paillettes, c’est malheureusement la même chose qui est en train de se produire : Baisse progressive et inflexible du pouvoir d’achat, hausse des prix, précarisation du travail avec la volonté de supprimer systématiquement les filets de sécurité des employés. Attention ! Sans filet, la rue n’est pas loin ! Et une fois à la rue, il est presque impossible d’en sortir autrement que les pieds devant…
A Tchao !